Poésie de Victor Hugo (1802-1885)

Âme ! être, c'est aimer...


Janvier est revenu. Ne crains rien, noble femme !


Janvier est revenu. Ne crains rien, noble femme !




Janvier est revenu. Ne crains rien, noble femme ! 

Qu'importe l'an qui passe et ceux qui passeront ! 

Mon amour toujours jeune est en fleur dans mon âme ; 

Ta beauté toujours jeune est en fleur sur ton front.



Sois toujours grave et douce, ô toi que j'idolâtre ;

Que ton humble auréole éblouisse les yeux ! 

Comme on verse un lait pur dans un vase d'albâtre, 

Emplis de dignité ton coeur religieux.



Brave le temps qui fuit. Ta beauté te protège. 

Brave l'hiver. Bientôt mai sera de retour. 

Dieu, pour effacer l'âge et pour fondre la neige, 

Nous rendra le printemps et nous laisse l'amour.



1er janvier 1842.





Âme ! être, c'est aimer.



Il est.



C'est l'être extrême.

Dieu, c'est le jour sans borne et sans fin qui dit : j'aime.

Lui, l'incommensurable, il n'a point de compas ;

Il ne se venge pas, il ne pardonne pas ;

Son baiser éternel ignore la morsure ;

Et quand on dit : justice, on suppose mesure.

Il n'est point juste ; il est. Qui n'est que juste est peu.

La justice, c'est vous, humanité ; mais Dieu

Est la bonté. Dieu, branche où tout oiseau se pose !

Dieu, c'est la flamme aimante au fond de toute chose.

Oh ! tous sont appelés et tous seront élus.

Père, il songe au méchant pour l'aimer un peu plus.

Vivants, Dieu, pénétrant en vous, chasse le vice.

L'infini qui dans l'homme entre, devient justice,

La justice n'étant que le rapport secret

De ce que l'homme fait à ce que Dieu ferait.

Bonté, c'est la lueur qui dore tous les faîtes ;

Et, pour parler toujours, hommes, comme vous faites,

Vous qui ne pouvez voir que la forme et le lieu,

Justice est le profil de la face de Dieu.

Vous voyez un côté, vous ne voyez pas l'autre.

Le bon, c'est le martyr ; le juste n'est qu'apôtre ;

Et votre infirmité, c'est que votre raison

De l'horizon humain conclut l'autre horizon.

Limités, vous prenez Dieu pour l'autre hémisphère.

Mais lui, l'être absolu, qu'est-ce qu'il pourrait faire

D'un rapport ? L'innombrable est-il fait pour chiffrer ?

Non, tout dans sa bonté calme vient s'engouffrer.

On ne sait où l'on vole, on ne sait où l'on tombe,

On nomme cela mort, néant, ténèbres, tombe,

Et, sage, fou, riant, pleurant, tremblant, moqueur,

On s'abîme éperdu dans cet immense coeur !

Dans cet azur sans fond la clémence étoilée

Elle-même s'efface, étant d'ombre mêlée !

L'être pardonné garde un souvenir secret,

Et n'ose aller trop haut ; le pardon semblerait

Reproche à la prière, et Dieu veut qu'elle approche ;

N'étant jamais tristesse, il n'est jamais reproche,

Enfants. Et maintenant, croyez si vous voulez !



Elle était déchaussée, elle était décoiffée...


Elle était déchaussée, elle était décoiffée,

Assise, les pieds nus, parmi les joncs penchants ;

Moi qui passais par là, je crus voir une fée,

Et je lui dis : Veux-tu t'en venir dans les champs ?



Elle me regarda de ce regard suprême

Qui reste à la beauté quand nous en triomphons,

Et je lui dis : Veux-tu, c'est le mois où l'on aime,

Veux-tu nous en aller sous les arbres profonds ?



Elle essuya ses pieds à l'herbe de la rive ;

Elle me regarda pour la seconde fois,

Et la belle folâtre alors devint pensive.

Oh ! comme les oiseaux chantaient au fond des bois !



Comme l'eau caressait doucement le rivage !

Je vis venir à moi, dans les grands roseaux verts,

La belle fille heureuse, effarée et sauvage,

Ses cheveux dans ses yeux, et riant au travers.